Le Management des Risques au Sénégal : Entre héritages et enjeux modernes
Au lendemain de la crise financière mondiale, James Lam[1] expliquait que les organisations devraient prendre en compte dans leur système de management intégré la gestion des risques au même titre que leur croissance soutenue.
Dès lors, il convient de savoir que la gestion des risques a bien évolué vers un nouveau concept couvrant une stratégie prudentielle plus exigeante pour faire face aux nouveaux enjeux et défis des entreprises et des organisations.
Par ailleurs, essayons de comprendre la nuance entre la gestion des risques axée sur l’identification, l’évaluation des risques et les moyens de les atténuer, voire les maîtriser et le management des risques découlant d’une stratégie de prévention dans laquelle les risques sont évalués pour apporter des mesures préventives.
À titre de rappel, le risque se mesure par deux paramètres : sa probabilité d’occurrence (la chance qu’il se manifeste) et sa gravité (l’impact potentiel).
Dans le contexte actuel du Sénégal, de par son expérience en matière de prévention des risques[2], l’État se positionne comme le premier levier de prise en charge des enjeux contemporains du management des risques. C’est une évidence en tant que personne morale garante de la sécurité publique en particulier avec un rôle régalien en général.
À une époque où la mondialisation brouille les frontières et intensifie les interactions, une interrogation se pose : comment le Sénégal, avec toutes ses richesses minières, s’adapte-t-il à ce nouveau défi, à l’ère de l’exploitation du pétrole et du gaz ?
I. Le Management des Risques : D’une perception historique à une compréhension moderne
1.1. Évolution conceptuelle
Drucker[3] (1973) souligne que l’importance de la minimisation des risques pour les entreprises ne doit pas les faire tomber dans la complaisance. À l’ère de la mondialisation et de la multiplicité des enjeux, les entreprises doivent opérer une relecture et une réadaptation de leurs stratégies de gestion des risques pour ne pas être mises en péril.
Et si l’on s’appuie sur les sages recommandations du rapport COSO[4] II de 2004, cette gestion est une science en soi, méthodiquement développée pour identifier et relever les défis potentiels qui pourraient déstabiliser une organisation.
Toutefois, il ne s’agit plus seulement d’anticiper et d’éviter les pertes. La gestion des risques d’aujourd’hui est une alchimie délicate entre prudence, stratégie réfléchie et perspicacité, tous essentiels dans notre monde volatile[5] impliquant une complète prise du risque dans les stratégies mises en place.
Lorsque nous parcourons le corridor du temps, chaque période de notre histoire commerciale nous présente ses propres énigmes. Autrefois, les soucis des entreprises étaient palpables : catastrophes naturelles, vols, volatilité du marché. Elles avaient alors mis en place divers mécanismes, comme les assurances et la diversification d’actifs, pour y faire face.
Mais l’époque contemporaine, avec son virage numérique, a apporté son lot de défis amplifiés.
Face à ces nouvelles complexités, une gestion des risques dynamique et évolutive est cruciale. Au cœur de cette démarche se trouve un impératif : consolider la confiance de ses parties prenantes. En discernant et en appréhendant les risques, les entreprises non seulement sauvegardent leurs actifs, mais elles montrent aussi un engagement solide envers une croissance durable. La balance entre la prise de risque et la stratégie globale est vitale, assurant que chaque décision soit fondée sur une compréhension nuancée des enjeux et des bénéfices potentiels.
1.2. Une panoplie de risques : d’hier à aujourd’hui
Chaque ère commerciale a ses propres défis. Les organisations ont toujours prêté attention aux risques tels que le vol d’informations, les catastrophes naturelles et les fluctuations du marché. Des mesures telles que les assurances et la diversification des investissements ont été prises pour faire face à ces défis. Toutefois, à l’heure actuelle, se présentent de nouveaux défis tels que l’augmentation de la cybercriminalité, les modifications régulières de la réglementation et les problèmes environnementaux liés au changement climatique.
Les entreprises doivent également être prêtes à affronter ces menaces tout en s’adaptant aux régulations en constante mutation et aux problématiques d’ordre socio-politique.
Devant cette complexité croissante, le management des risques doit être agile et adaptatif.
L’enjeu est désormais d’accroître la confiance des entrepreneurs. En anticipant et en gérant activement les risques, les entreprises ne font pas que préserver leur essence même. Elles illustrent aussi leur dévouement à une croissance qui se veut pérenne. L’harmonie entre leur disposition à prendre des risques et leur vision stratégique est fondamentale, s’assurant que chaque décision est prise en mesurant consciencieusement les obstacles potentiels tout autant que les opportunités à saisir.
II. Le management des risques au Sénégal : défis et imperfections
2.1. Analyse historique et complexités actuelles au Sénégal
Le Sénégal, situé en Afrique de l’Ouest, a une riche histoire et culture. Les écrits de Diouf (1990) et de Fall (2003) racontent les moments marquants du pays. Malgré cette riche histoire, le Sénégal fait face à des défis modernes, en particulier dans la gestion des risques. Avec sa position géographique, il a de nombreuses opportunités mais aussi des défis.
D’autant plus que l’on sait que la découverte de gisements de pétrole et de gaz sur ses côtes attirent l’attention.
En 2022, les experts estimaient que l’exploitation pétrolière grâce au projet Grand Tortue Ahmeyim (GTA) et au champ de Sangomar, rapporteraient des recettes avoisinant les 888 milliards de FCFA sur la période 2023-2025.
Dans tous les cas, économiquement, le pays doit pallier une mauvaise gestion des ressources et une dépendance aux revenus pétroliers. Socialement, les attentes de prospérité peuvent engendrer des tensions. Le Sénégal vise une exploitation responsable, collaborant avec divers partenaires pour garantir des bénéfices équitables. Cependant, on estime que la stratégie actuelle est plus réactive que proactive.
2.2. Origines des insuffisances et voie vers l’amélioration
Plusieurs éléments sont à la base des déficiences actuelles en matière de gestion des risques au Sénégal. D’abord, le pays manque d’infrastructures appropriées pour une surveillance et une évaluation efficaces des risques.
Le déficit en professionnels formés et qualifiés dans ce domaine renforce cette lacune, privant les entreprises et institutions d’une expertise précieuse. Le cadre réglementaire, quant à lui, laisse à désirer. Ne s’alignant pas toujours sur les normes internationales, il conduit parfois à des incohérences dans la gestion des risques. On peut citer l’exemple de la pêche artisanale[6] au Sénégal, qui fait face à un manque d’expertise et à un cadre réglementaire non conforme aux normes internationales ; des carences qui intensifient les risques de surexploitation des ressources marines.
La culture organisationnelle, surtout dans certains secteurs, n’accorde pas la priorité nécessaire à la prévention des risques. Cette valorisation insuffisante de la prudence et de l’anticipation peut entraîner des conséquences néfastes.
Il est donc urgent pour le Sénégal de reconsidérer sa stratégie. Investir dans la formation, moderniser la réglementation et promouvoir une culture de prévention sont autant d’étapes cruciales.
Armé des bonnes ressources et d’une vision renouvelée, le Sénégal a le potentiel de transformer sa gestion des risques, faisant de cette sphère un pilier solide pour l’avenir du pays.
III. Le Management des Risques au Sénégal : Entre art et science
3.1. L’art du Management des Risques : Intuition et adaptabilité
Le management des risques, dans sa quintessence, est une interprétation équilibrée entre l’art et la science.
Comme l’ont souligné Ebondo Wa Mandzila et Zéghal (2009), la nature de cette discipline dépasse la simple prédiction.
Elle requiert une habilité intuitive pour envisager des scénarios imprévus et la flexibilité pour s’adapter à un environnement changeant.
C’est dans cet aspect artistique que réside la capacité à naviguer à travers la complexité socio-politique et économique du Sénégal.
Les gestionnaires de risques doivent donc posséder une compréhension nuancée des particularités sénégalaises, en percevant les subtilités et en décelant les opportunités cachées au sein des défis apparents.
3.2. La Science derrière la gestion des risques : Méthodologies et cadres
Tout en valorisant l’aspect artistique, il est indispensable de reconnaître et d’adopter la rigueur scientifique associée à la gestion des risques.
Elle se traduit par le recours à des méthodes qui ont fait leurs preuves, à des outils axés sur la quantité et la qualité pour évaluer les risques dans des cadres bien définis.
L’importance de cette dimension scientifique est mise en exergue par des initiatives telles que le Plan opérationnel 2022-2024 de l’ARC[7], illustrant la détermination du Sénégal à adopter une approche méthodologique dans sa gestion des risques.
La récente Loi d’orientation n° 2022-08 du 19 avril 2022 sert de catalyseur en ce sens.
Elle établit un cadre de gouvernance qui valorise la transparence, la responsabilité et l’évaluation constante.
Les audits internes, en tant que mécanismes d’évaluation, jettent les bases d’une surveillance continue.
En outre, en incorporant des mécanismes innovants, cette loi garantit que le Sénégal est équipé non seulement pour gérer les défis contemporains mais aussi pour anticiper et capitaliser sur les opportunités à venir.
IV. Cartographie des risques au Sénégal : Une exploration multifacette des enjeux actuels
4.1. Défis environnementaux
Les perturbations environnementales actuelles placent le Sénégal à un carrefour décisif.
Selon des études menées par Gaye, Lo, Djimbira, Fall, et Ndiaye en 2015, le pays fait face à des risques tels que l’érosion des côtes, l’élévation du niveau de la mer, la déforestation, les inondations saisonnières, la pollution des eaux et la désertification.
Ces risques menaçant la survie des populations environnantes, la fertilité des terres et la biodiversité, constituent des défis qui imposent l’élaboration de stratégies prenant en compte les dimensions écologiques et socio-économiques.
4.2. Défis Technologiques
D’autres comme Pape Alassane Touré, l’auteur du livre « Le traitement de la cybercriminalité devant le juge » (2010), abordent fréquemment la question de la progression de la cybercriminalité au Sénégal pendant cette discussion.
Alors que le Sénégal vise à se positionner en leader de la digitalisation, la sécurisation des informations et la défense de ses résidents en ligne sont essentielles.
Il est indéniable que le développement technologique, tout en offrant des avantages, présente également des défis dans cette ère numérique.
V. Synergies et collaborations : Le principe du “ensemble” dans la gestion des risques
5.1. Partenariats nationaux : Gouvernement, ONG, Experts, les piliers de la Résilience
Dans la gestion proactive des risques, les institutions gouvernementales du Sénégal jouent un rôle central. Leur capacité à établir des politiques, à réglementer et à superviser les secteurs clés les positionne comme des gardiens des intérêts nationaux.
Cependant, pour assurer une mise en œuvre efficace et inclusive, la collaboration avec les ONG est cruciale.
Ces entités, grâce à leur ancrage local et à leur réactivité, ont souvent une acuité unique sur les situations de terrain, offrant une vision que les structures gouvernementales pourraient parfois manquer. En établissant des liens étroits avec les populations, les ONG récoltent des retours d’information, des témoignages et des insights pouvant influencer, et parfois réorienter, la manière dont les risques sont gérés. Cette synergie entre les instances gouvernementales et les ONG conduit à une vision complète, mariant la vue d’ensemble à la finesse du terrain.
Dans ce contexte, des experts en défense et sécurité ainsi que des préventionnistes, se positionnent comme des acteurs essentiels, ayant la sécurité comme cheval de bataille.
VI- L’Éducation face au management des risques au Sénégal
6-1 Insuffisances actuelles
Les fondements d’un avenir prospère reposent en grande partie sur l’éducation. Beaucoup voient en elle le meilleur investissement pour demain, nécessitant une attention constante et une évolution de nos actions. Le ministère de l’éducation (2018) souligne que l’enjeu de l’éducation dépasse la simple question d’accès. Il est donc question de veiller à ce que les enseignements répondent à des besoins de pertinence et de qualité.
Pourtant il manque considérablement de programmes permettant d’avoir une assise solide sur la question du management des risques. La jeunesse veut apprendre et il est important de lui donner des outils nécessaires à sa formation.
6-2 Des pistes à envisager
Pour changer la donne, plusieurs solutions s’offrent :
- La mise en place de programmes scolaires et universitaires sur le domaine : un cours à l’école portant sur la question et des modules à valider pour les étudiants ;
- La création d’instituts ou de centres de formation permettant aux intéressés d’avoir un bagage solide sur ces notions ;
- La mise en place d’ateliers permettant de renforcer la pratique du sujet ;
- La collaboration avec des experts dans le domaine.
Le Sénégal, avec son histoire et son tableau culturel, est sur un chemin déterminant. Tout en faisant face aux défis d’aujourd’hui (exploitation du pétrole et du gaz et développement des services numériques) et en anticipant ceux de demain (soutien à la protection de l’environnement, grand banditisme, menace terroriste,…), il s’attache à tirer les leçons du temps passé et de la réalité d’un monde qui change.
Toutefois, il doit être plus déterminé en matière de management des risques pour témoigner d’un engagement profond envers les besoins de sécurité de sa population. Il peut y arriver en exhortant les multinationales à s’impliquer davantage dans la connaissance de l’environnement local et en insistant sur la formation.
Alassane MBAYE
Expert en sûreté et sécurité
Directeur Général VIGILUS Groupe SA
www.groupevigilus.com
E-mail : a.mbaye@groupevigilus.com
Références :
- Lam, J. (2011). Risk Management: The ERM Guide from AFP. Association for Financial Professionals.
- Drucker, P.F. (1973). Management: Tasks, Responsibilities, Practices
- Committee of Sponsoring Organizations of the Treadway Commission (COSO II). (2004). Enterprise Risk Management – Integrated Framework.
- Diouf, M. (1990). Histoire du Sénégal : Le modèle islamo-wolof et ses périphéries. Paris: Karthala.
- Fall, S. B. (2003). Sénégal contemporain. Paris: Karthala.
- Ministère de la Pêche, Dakar (Sénégal), ENDA, Dakar (Sénégal), & Programme des Nations Unies pour l’Environnement. (2004). Mise en œuvre de mesures de conservation et gestion durables des ressources halieutiques : le cas du Sénégal. Aquadocs. https://aquadocs.org/handle/1834/2885
- EBONDO WA MANDZILA, E. & ZéGHAL, D. (2009). Analyse du processus de diffusion de l’information sur le risque opérationnel dans les banques. Comptabilité – Contrôle – Audit, 15(2), 7-32.
- African Risk Capacity (ARC). (2022-2024). Plan opérationnel.
- Gouvernement du Sénégal. (2022). Loi d’orientation n° 2022-08 du 19 avril.
- Gaye, A. T., Lo, H. M., Djimbira, S-S.,Fall,M. S.,Ndiaye,I (2015). Futurs résilients au climat: Sénégal: revue du contexte socioéconomique, politique et environnemental [Rapport].
- Chongwang, J. (2016, 26 juin). L’Afrique et la cybercriminalité: le cas du Sénégal. Interview avec Pape Alassane Touré. SciDev.Net.
- Ministère de l’Éducation, Sénégal. (2018). Programme d’amélioration de la qualité, de l’équité et de la transparence – Education/Formation (PAQUET-EF) 2018-2030. Objectif de développement durable 4.
[1] James Lam est reconnu comme l’un des pères fondateurs de la « gestion des risques ». Il est considéré comme le premier à avoir mis en place un poste de “Chief Risk Officer” (CRO) ou Directeur des Risques. Son ouvrage “Enterprise Risk Management: From Incentives to Controls” a été mondialement plébiscité.
[2] La prévention des risques en management fait référence à l’ensemble des stratégies, pratiques et mesures mises en œuvre par une organisation pour identifier, évaluer et atténuer les risques potentiels qui pourraient entraver la réalisation de ses objectifs. Ces risques peuvent être d’origines diverses : financiers, opérationnels, stratégiques, technologiques, réglementaires, etc.
[3] Drucker, professeur de sciences politiques et de philosophie, est un précurseur dans le domaine de la gestion des risques. Il a introduit un bon nombre de concepts innovants. Son ouvrage, “Management: Tasks, Responsabilities, Practices”, est considéré comme une référence incontournable dans ce secteur. Cet ouvrage encourage les entreprises à fonctionner harmonieusement avec les individus et à utiliser d’autres ressources efficacement. Pour Drucker, l’innovation et l’entrepreneuriat sont des piliers essentiels de la gestion.
[4] COSO( Committee of Sponsoring Organizations of the Treadway Commission) : Le Comité des organisations parrainantes de la Commission Treadway (COSO ) joue un rôle clé dans la promotion de l’intégrité, la responsabilité et la transparence dans les rapports financiers des entreprises.
[5] On parle de “monde volatile” relativement au concept “VUCA” (Volatility, Uncertainty, Complexity, Ambiguity signifiant en français : Volatilité, Incertitude, Complexité, Ambiguïté). Ce concept met l’accent sur un environnement souvent imprévisible et changeant, en particulier du point de vue des organisations.
[6] Pour en savoir plus sur la gestion durable des ressources halieutiques au Sénégal, consulter « Mise en œuvre de mesures de conservation et gestion durables des ressources halieutiques : le cas du Sénégal’ par le Ministère de la Pêche, Dakar (Senegal), ENDA, Dakar (Sénégal), et le Programme des Nations Unies pour l’Environnement, Nairobi (Kenya), 2004. »
[7] African Risk Capacity (ARC) : c’est la mutuelle panafricaine de gestion des risques. Elle a été fondée en 2012 par l’union africaine.